Il semblerait que mon travail découle de la peinture du XXe siècle, avec ce qu'elle a pu comporter d'expérimentations, de remises en causes, de ruptures, d'engagements et de prises de libertés.
J'ai commencé par la musique, car les mots ne m'ont ni satisfaits ni convaincus. Mais c'était trop rigide, trop normé,
il fallait jouer juste, respecter le temps, savoir la lire et l'écrire, j'ai pas vraiment eu la patience de leur obéir. Dessiner ma musique, ça c'était déjà plus évidant;
quand t'arrives pas à lire la partition d'un autre joue la tienne.
Mais le dessin lui aussi, finalement, contraint, limite, impose ses règles, trace une route qui lui est propre. Il m'a donc de nouveau fallu transgresser et c'est la peinture m'a recueilli.
C'est devenu mon espace de liberté à tout niveau m'affranchissant du temps, de l'espace, du trait, de la forme, des lois et de la compréhension même du spectateur.
Je suis donc devenu graffeur par conviction, toute œuvre devant nécessairement faire partie du domaine publique. Le graffiti a été mon école artistique, celle qui m'aura aiguisé le regard, affiné le trait et le discours. L'urgence et la rage nécessaire à une production criminalisée m'a donnée des ailes parfois, en ce qu'elle oblige au dépassement et à la maîtrise tant des évènements que de soit même. Enfin, ça m'a surtout fait courir! Aujourd'hui ce rapport au temps ne me porte plus vraiment. J'ai parfois l'impression que ça me parasite : tracer des lettres me parle un peu moins, signe des temps, les sprays ont moins de pressions qu'avant, sont beaucoup moins explosives, comme si était venu le temps de la déco des rires et des chants... Les couleurs de mes bombes, toujours trop soumises à ceux qui les fabriquent plus qu'à celles et ceux qui les utilisent. Il me reste néamoins du graff l'énergie, la violence, l'engagement, les outils, du rouleau à la bombe en passant par le pinceau ou la puissance. J'en garde également son format, et ce rapport à la ville si particulier qui fait que tu lis les traces de tes pairs au lieu de voir le nom des rues.
Et au final, artiste, graffeur, peintre, quel intérêt? Si c'est vraiment indispensable de m'étiqueter, autant te dire que ma peinture c'est du Butō.
Antonin Rêveur. 2013
Artiste graffeur * Antonin Rêveur
Tout droits réservés * 2024 Lyon